Heike Monogatari - couverture

Le Dit des Heike (ou Heike Monogatari)

LE DIT DES HEIKE (平家物語・へいけものがたり)

Cet article sur le « Dit des Heike » a été établi et rédigé par les soins de Mikel Billoud, diplômé de Master en histoire médiévale.

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       Le Heike Monogatari (平家物語) ou Dit des Heike est sans nul doute l’épopée médiévale la plus connue du Japon (même si d’autres récits sont tout aussi fameux en fonction de la période ; exemple du Genji Monogatari 源氏物語 de la période tardo-antique).
       Avant de revenir sur le récit et son humble analyse, il convient de définir nos termes. Le monogatari, ou dit, est un style littéraire ayant pour vocation de narrer un récit par le biais de compteurs professionnels. Le récit peut être composé avec des rimes mais ce n’est pas toujours une constante. Ce genre de récit, comme d’autres épopées au Japon, était raconté par des Biwa Hōshi (琵琶法師) ou prêtres au luth.
       Comme il n’y a pas de nom d’auteur connu, à l’instar de Homère pour l’Iliade et l’Odyssée, il est fort probable que plusieurs mains aient composé ce dit. La mise en écrit du Dit des Heike daterait du début du XIVème siècle, soit vers la fin du Bakufu de Kamakura. Le nom Heike renvoie au clan des Taira (平氏), famille très influente sous Heian qui, avec les clans Minamoto et Fujiwara, ont occupé des fonctions dans la cour de l’empereur.

    Pour plus d’informations, je vous recommande l’excellent livre de Francine Hérail, cité dans la bibliographie. Ultime précision, je vous présente ce récit via la traduction de René Sieffert qui est également mentionnée dans la bibliographie.

Heike Monogatari - Illustration

Illustration du Heike Monogatari

       Pour comprendre la genèse, et surtout le conflit conté dans le Heike Monogatari, il convient de faire une brève halte auprès de deux célèbres batailles emmenant les Taira et Minamoto à se disputer le contrôle du Japon. Les insurrections de Hôgen et de Heiji voient les plus influents Daimyo (大名、“grands noms”  puis “grands propriétaires fonciers”) s’entredéchirer afin d’obtenir de l’influence auprès du pouvoir impérial. A l’issue de ces affrontements, entre 1156 et 1167, les Taira s’imposent et évincent les Minamoto, les Tachibana et les Fujiwara. Cela amènera Taira no Kiyomori à devenir Daijō-daijin (太政大臣、 ou « ministre des Affaires suprêmes »).
       Les Taira entretiennent de solides relations avec, d’une part, le mikado Takakura, et d’autre part, l’empereur-retiré Go-Shirakawa. Ils tomberont toutefois en disgrâce. Ces deux révoltes vont engendrer deux récits, le Hôgen Monogatari (保元物語) et le Heiji Monogatari (平治物語). Ceux-ci innovent dans les thématiques abordées, car ils ne vont pas s’axer sur la cour du mikado et son esthétisme, mais sur l’intérêt et la nécessité de la caste guerrière, ainsi qu’aux désordres emmenés par ces révoltes.

Heike Monogatari - Utagawa

Utagawa Sadahide, La bataille de Dan-no-Ura, 1864, estampe

       Parmi les temps forts du Dit du Heike, nous retrouvons la célèbre bataille navale de Dan-no-Ura où les trois milles vaisseaux des Minamoto vont défaire la flotte de mille navires des Taira (selon le Heike Monogatari). En suivant la dynamique du récit, la défaite est engendrée en partie car la plupart des clans s’étaient ralliés aux Minamoto. Ces clans sont présentés comme des traîtres puisqu’ils devaient aider les Taira. Voici donc une première thématique : la couardise et la félonie des guerriers.

       La préparation militaire y est aussi très développée, et nous remarquons que les combattants sont dépeints comme des barbares mal disciplinés. Cet aspect se retrouve dans tout le récit, dans le sens où les guerriers seraient dans l’incapacité de manifester de l’élégance et du raffinement, à la différence de la cour impériale et des élites.
       Nous pouvons imaginer ici, du point de vue des auteurs présumés, une volonté de rabaisser l’impact des combattants pour limiter l’impact du shogun, un pouvoir militaire en dualité avec l’empereur. D’autant que l’on met en avant les actions religieuses, comme les prières, les pèlerinages et l’entrée en religion de l’empereur-retiré Go-Shirakawa.

       L’aspect cultuel est d’autant plus probant que nous suivons la mouvance que les Taira semblent tomber en disgrâce vis-à-vis des sanctuaires de Kumano. D’autant que l’empereur-retiré rédige un décret investissant Minamoto no Yoritomo de la mission de pacifier les barbares, donc très probablement pour restaurer la paix en arrêtant le conflit. Le mikado reproche aux Heike (les Taira) d’agir selon leur propre chef, au mépris de l’empereur et donc des lois bouddhiques.

Heike Monogatari - Nemoto

Nemoto Yūga, Avant-garde à la rivière Uji, Musée d’art de Watanabe, Japon

       Malgré tout, le Heike Monogatari tente d’intégrer la Voie de l’arc et du cheval (弓馬の道、kyuba no michi) comme modèle de bravoure et d’honneur, dans le sens où la honte devrait s’abattre sur celui qui fuit ou abandonne son maître. Cette vertu constitue une des règles majeures du fameux Bushidô (même s’il est anachronique d’en parler à l’époque médiévale). Les guerriers doivent rester sous contrôle de l’empereur et exercer selon son concours, puisqu’il incarne l’autorité religieuse et politique.

       Autre aspect de la guerre se retrouvant dans le récit, l’idée de la fatalité et donc du décès lors d’un affrontement. Plusieurs chapitres mentionnent la fin tragique d’un combattant, comme le cas d’Imai no Shiro, qui, défait par les troupes du général Minamoto no Yoshitsune, invoque la gloire de laisser une dignité à son nom.
       Il s’agit aussi de montrer son prestige en venant à bout d’un adversaire connu, comme par exemple Okabé no Rokuyata Tadazumi tuant le gouverneur de Satsuma, homme lige chez les Taira (p. 390 du Heike Monogatari).

       Entre mysticisme et bellicisme, le Heike Monogatari est une façon d’accorder du crédit et de la bravoure aux guerriers, avec une dimension de “guerre sainte” pour sauver l’empereur de l’influence, devenue problématique et dangereuse, des Heike.
       Même s’il est dénigré par l’aristocratie et sa culture de l’élégance, le guerrier japonais développe une conscience de soi très glorieuse et fait preuve d’une loyauté sans faille envers son maître.
       Avec une autre oeuvre édifiante comme la Chronique militaire de Yoshida, où la voie du guerrier se façonne comme une doctrine, en opposition avec le raffinement aristocratique, le Heike Monogatari peut donc s’interpréter comme un embryon à cette culture guerrière très forte au Japon.

Heike Monogatari - Tosa

École de Tosa, La bataille de Yashima, XVIIe siècle, Metropolitan Museum of art, New York

SOURCES

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